Il y a encore peu, de nombreux patrons étaient réticents à l’idée de laisser les salariés libres de leurs mouvements. Le coronavirus a bouleversé la donne. Une bonne nouvelle dont il convient de se réjouir, assure l’économiste Nicolas Bouzou.
«L’une des choses les plus improductives de notre époque est de déplacer chaque matin des millions de personnes vers des zones de travail puis chaque soir vers leur domicile», écrivait autrefois Alvin Toffler.
Nul doute que le sociologue nord-américain aurait été à la fois curieux et amusé d’observer le contexte actuel: des entreprises par tout dans le monde encouragées, voire obligées, de recourir au télétravail pour éviter la propagation du Covid-19. Autrement dit, ce qui était il y a encore peu un droit durement acquis dans nombre d’organisations est désormais une obligation. Doit-on s’en réjouir?
Une hyper-connectivité nocive
Beaucoup a été écrit sur le télétravail. Pour ses détracteurs, il comporte d’importants risques psycho-sociaux tels qu’un isolement social et professionnel. La flexibilité des horaires est également susceptible d’entrainer une surcharge de travail. «L’utilisation des nouvelles technologies peut conduire à une injonction implicite: être joignable à tout moment, même en dehors du temps de travail effectif, note l’enseignante et chercheuse en management Caroline Diard. Le collaborateur pourrait en effet chercher à démontrer à son employeur qu’il mérite l’organisation du travail flexible qui lui a été accordée. L’absence de régulation entre les sphères privées et professionnelles présente alors des risques sur la santé du salarié.»
Dans le contexte actuel de crise, la peine est double pour les parents qui voient leur emploi du temps se rallonger. «Entre attraper le coronavirus et rester confiné avec les enfants, mon cœur balance», plaisantent sur les réseaux sociaux les mères de famille actives pour qui le travail flexible s’est transformé en calvaire.
Épuisées par la supervision des devoirs, les caprices, les pleurs et les corvées domestiques – à cause du coronavirus, les familles doivent désormais se passer temporairement des services de leur aide-ménage – certaines sont au bord du burn-out.
Dans ce tableau, tout n’est cependant pas noir. «Le télétravail forcé est globalement plutôt positif, pour les professions pour lesquelles c’est possible évidemment, assure l’économiste Nicolas Bouzou. Beaucoup d’entreprises ne voulaient pas autoriser le télétravail, ou sous des conditions très restrictives, car elles n’osaient pas faire confiance à leurs salariés. Là, elles sont obligées de le faire. Ces conditions exceptionnelles sont le déclencheur d’un mouvement qui va durer.»
Le télétravail, bon pour la croissance
Il rappelle que les entreprises se gargarisent depuis longtemps d’autonomie. Dans les faits cependant, elles restent attachées à une idéologie du contrôle et de la surveillance, difficilement compatible avec l’entreprise efficace du XXIe siècle. Grâce au coronavirus, la notion de lieu de travail pourrait définitivement perdre de sa pertinence: «Les salariés et les entreprises se rendent compte qu’ils peuvent faire à distance plus de choses que ce qu’ils imaginaient. Ils voient aussi que le télétravail, dans une situation de crise, ne « désunit » pas l’entreprise, au contraire. Face à la nécessité de sauver les entreprises, certains salariés et managers se révèlent en prenant des initiatives, surtout dans les PME, les plus en danger aujourd’hui.»
Et de conclure: «Ce n’est pas facile pour les parents mais on apprend à s’organiser. Surtout, il faut se dire qu’en sortie de crise, nous aurons appris à télétravailler dans des conditions hostiles. Ce sera plus simple une fois les choses revenues à la normale. A mon avis, il y aura même des gains de productivité importants à la clé, ce qui sera bon pour la croissance!»
de Bilan – mars 2020